Dis Monsieur, dessine-moi une entreprise à mission!
Ah le Petit Prince ! Il est si touchant avec sa naiveté apparente en posant des questions qui nous interpellent et nous obligent à une saine remise en cause de nos principes, de nos idées ou de tout ce que nous faisons (souvent) d’une façon automatique. Et justement, dans ce blog, je vous propose d’accompagner le Petit-Prince pour qu’à travers ses réflexions, nous pensions à un autre modèle pour nos entreprises plus responsable, générateur d’énergie positive, fédérateur de talents, créateur d’une valeur ajoutée plus respectueuse de son environnement tout en ayant une vision plus « holistique » de son rôle dans la société.
Vous pensez que je rêve… ce n’est pas grave car comme le disait le Petit Prince « Fais de ta vie un rêve et d’un rêve, une réalité » (Source 1 : Le Petit Prince). En cela, il nous dit quelque chose de fondamental qui rejoint un des points clé de la Psychologie Positive et du développement personnel, courant scientifique initié au début des années 1980 par le psychologue américain Martin Seligman. Des études réalisées dans le cadre de la Psychologie Positive sur les conditions qui provoquent le changement ont démontré que l’être humain est influencé à 50% par sa génétique, à 10% par son environnement et à 40% par ce qui dépend de lui seul. (Source 2 ; Sonja Lyubormirsky ; 2008)
Donc nous sommes l’acteur de notre propre transformation, rien n’est figé à jamais ! Dans l’entreprise comme à titre personnel il suffit d’y croire, de savoir où aller et alors même face à la pire des menaces, l’esprit d’équipe et la foi dans ce qui est développé et mis en place viennent à bout de tous les défis. L’objectif est de nous transformer en Petit Prince et d’agir sur notre quotidien afin que notre travail, notre action, notre passion pour ce que nous réalisons nous permettent aussi de trouver du sens et de participer à un monde meilleur. C’est là tout l’objectif du concept « d’entreprise à mission ».
1· Pourquoi s’intéresser à l’entreprise a mission et quel sens donner a cette recherche qui mène a se compliquer la vie?
"Les étoiles sont éclairées pour que chacun puisse un jour retrouver la sienne." (Le Petit Prince)
Mon intérêt pour les entreprises à mission remonte à ma première expérience en tant que Directeur Général REDKEN, marque américaine rachetée par le Groupe L’Oréal en 1994 qui fabrique et vend des produits capillaires professionnels haut de gamme dans des salons de coiffure sélectionnés. Redken a une mision claire et déclarée : « Earn a better living to live a better life / Mieux gagner sa vie pour mieux vivre » ; non pas à prendre au pied de la lettre mais, comme me l’avait expliqué la Directrice Formation Globale, Ann Mincey : «apprendre comment mieux gagner sa vie en donnant davantage de sens et de qualité à son travail pour ensuite profiter de ce temps précieux afin de se développer sur un plan personnel et professionnel. La formation est au cœur de notre vision» (sic). Même si cette approche est encore loin de celle d’une entreprise à mission à part entière, nous verrons par la suite qu’elle a au moins le mérite d’en illustrer un des premiers pas.
Ensuite, je suis retourné en Espagne pour lancer et développer une autre marque conceptuelle, Aveda, pour le Groupe Estée Lauder. Si Redken fut ma première confrontation avec des marques apportant du sens et ayant une mission affichée, Aveda fut clairement un approfondissement de cette tendance. C’est une marque ayant des valeurs fortes comme la formulation à base d’ingrédients naturels, la certification organique de ses ingrédients, la traçabilité, le commerce juste et surtout l’impact sociétal et environnemental de sa croissance, le développement personnel et professionnel… ce qui rend cette marque extrêmement complète et séduisante mais demande aussi une très forte implication pour défendre son territoire et la situer en haut des marques professionnelles.
Aveda a la particularité de publier tous les deux ans un rapport sur l’évolution de son modèle économique avec les solutions mises en place ou en cours de développement pour réduire son empreinte écologique et accroître son impact sociétal (Source 3 : https://www.aveda.com/living-aveda/mission-and-heritage). En 1989 le fondateur de la marque, Horst Rechelbacher, fut d’ailleurs le premier chef d’entreprise à signer les principes CERES (Certification of Environmental Standards) suite au choc que représenta pour lui, écologiste convaincu, l’incroyable marée noire provoquée le 24 Mars 1989 par le pétrolier américain Exxon Valdez lorsqu’il s’échoua sur un récif dans la baie du Prince-Guillaume en Alaska. Enfin Aveda affiche cette volonté dans ses 11 principes dont le 3eme dit : « Nous croyons qu’il est possible de concilier à la fois des objectifs écologiques et financiers ». Cette expérience m’a conforté sur l’importance des notions de sens, de valeurs, de vision partagée et de la responsabilité sociétale et environnementale des entreprises… J’ai pu aussi constater combien ce mix unique change profondément la vie des acteurs qui participent à cette aventure professionnelle et humaine.
Alors si comme le dit le Petit Prince « Rien dans l’univers ne reste lui-même », paraphrasant ainsi Héraclite, approfondissons le concept d’entreprise à mission afin de nous adapter avec succès à ces temps changeants et au monde VICA (Volatile ; Incertain ; Complexe ; Ambigu) qui nous entourent.
2 · Oui mais alors… comment se transformer et réussir sa mûe en entreprise a mission ?
“Mais si tu m'apprivoises, nous aurons besoin l'un de l'autre. Tu seras pour moi unique au monde. Je serai pour toi unique au monde.” (Le Petit Prince)
L’idée des entreprises à mission émerge comme une suite logique d’un monde post-capitaliste en pleine transformation, confronté à toutes une série de bouleversements qu’il a en partie provoqués : La disparition du mur de Berlin sonnant la fin de l’idéologie totalitaire communiste, les chocs écologiques avec le dérèglement climatique et l’impact de la sur-consommation sur notre Terre (anthropocène), les mutations technologiques incroyables que sont Internet, les réseaux sociaux et le boom des ventes Online… En fait, une entreprise est une entité vivante amenée à s’adapter à un environnement changeant sous peine de disparaitre, comme toute espèce depuis la création du monde, ce que Charles Darwinn (1809-1882) avait d’ailleurs très bien expliqué dans son fameux livre L’origine des espèces paru en 1859.
De tous ces bouleversements, la mutation technologique que nous connaissons depuis plus de 20 ans est certainement celle qui provoque les changements les plus profonds dans la société. L’individu s’émancipe de plus en plus et est en recherche de sens. La perte d’intérêt des jeunes générations (Millenials / Y Generation; Géneration Z notamment) pour les carrières longues dans des entreprises qui ne proposent comme finalité qu’un compte résultat et une cotisation en bourse, explique en partie les difficultés rencontrées par de nombreuses multinationnales pour recruter mais surtout fidéliser leurs talents. Les jeunes générations bouleversent les règles du jeu en souhaitant imiter leurs mentors et monter la start-up de demain qui sera aussi “successful” que les GAFAM, tout en leur procurant liberté, sentiment d’accomplissement, valeurs partagées et sens de l’engagement.
C’est donc tout naturellement aux Etats-Unis, en 2010, que les premières entreprises à mission sont apparues dans le droit sous le terme de “Benefit Corporations”. Cette dénomination exige l’introduction dans ses statuts d’un but (Purpose) qui aille au delà de la simple finalité d’une entreprise, à savoir conduire et développer dans un cadre juridique défini une activité à fin lucrative. Surtout le statut d’une entreprise à mission comprend 3 niveaux: (Source 4 pour son application dans le droit commercial français)
- La définition d’une mission précise et son inscription à valeur juridique dans ses statuts: Le fait de placer la mission dans les statuts de l’entreprise la protège contre les velléités de certains ou les changements d’actionnariat
- Un engagement de l’entreprise à remplir sa mission: Les actionnaires en sont responsables et doivent rendre des comptes si la mission n’est pas remplie ou est tronquée. De plus toute modification de la mission ne peut se faire que si les 2/3 des actionnaires sont d’accord puisqu’elle est partie intégrante des statuts de l’entreprise
- La mise en place d’un comité de mission indépendant incluant la présence d’un lanceur d’alerte: Son rôle est d’avertir la société en cas de dérive et il est en charge des mécanismes de contrôle et des systèmes de reporting. Enfin, l’entreprise doit s’engager vers un nouveau type de gouvernance plus moderne et ouverte qui permette l’accompagnement de la réalisation de la mission en toute transparence
Ensuite, le chef d’entreprise pourra choisir entre deux modèles de statut juridique:
- Entreprise à mission générique qui porte sur des enjeux de Responsabilité Sociales de l’Entreprise (RSE): Elle doit s’assurer de son développement en suivant les critères financiers de la “Triple performance sociale, environnementale et économique” également appelés “Triple P pour People, Planet, Profit / Personnes, Planète, Profit” (Source 5: John Elkington / Triple botton line)
- Entreprise à mission spécifique: Cette option laisse à l’entreprise le choix de définir sa finalité et d’avoir certains modes d’évaluation adaptés
Si le premier modèle est bien entendu le plus impliquant, c’est également celui qui apporte le meilleur retour sur investissement pour son actionnaire. Un exemple d’entreprise à mission ayant réussi ? Patagonia avec son claim “We are in business to save our home planet” (www.patagonia.com/activism).
Plusieurs pays ont depuis travaillé pour mettre à jour leur droit des sociétés et y intégrer ce modèle d’entreprise comme les Mission-Led Businesses au Royaume-Uni ou les Sociéta Benefit en Italie. En France, le cadre juridique est posé par la Loi PACTE (Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises; loi promulguée le 22 Mai 2019) qui encadre juridiquement les sociétés désirant passer un cap et compléter leur compétitivité produit par une approche et une valeur ajoutée plus globale. En Espagne, le cadre juridique n’est pas encore posé officiellement mais l’intérêt croissant pour ce type d’entreprise pousse le législateur a accéléré la mise à jour de son droit des affaires. Pour approfondir votre connaissance, je vous conseille le livre du Docteur et chercheur français Kevin Levillain sur les entreprises à mission (Source 6).
Attention cependant à ne pas confondre le statut d'entreprise à mission comprennant un volet juridique avec le label « certification B Corp » délivré par l’organisme à but non lucratif B Lab suite à un processus de certification reposant sur des critères extra-financiers.
3· En 2021, reflechir a se transformer en entreprise à mission est encore plus d’actualité
“Les hommes n'ont plus le temps de rien connaître. Ils achètent des choses toutes faites chez les marchands. Mais comme il n'existe point de marchands d'amis, les hommes n'ont plus d'amis”. (Le Petit Prince)
Comme nous pouvons le voir, devenir “une entreprise à mission” est un acte fort et engageant. Il implique la société dans sa globalité, depuis ses actionnaires jusqu’à ses employés, ses fournisseurs, ses clients et ensemble ils ont pour vocation non seulement de développer l’entreprise pour la rendre plus efficace et rentable, mais surtout de l’intégrer pleinement dans une action globale sociétale et environnementale. Le tout étant soumis à un contrôle strict de la part d’organismes indépendants. Ces nouvelles dispositions juridiques répondent justement aux attentes de jeunes entrepreneurs qui se sentent concernés par les enjeux sociétaux et environnementaux, qui perçoivent l’entreprise non plus seulement comme une source de bénéfice mais comme un ensemble “holistique” qui se doit d’être exemplaire, de remplir sa part du contrat social et environnemental, de gagner de l’argent pour participer au développement de la société et à ses enjeux tout en étant responsable et transparent sur ses actions et engagements envers elle. Cette nuance change complètement la donne!
Il est curieux de constater que cette tendance fait écho à la recherche chaque jour plus prononcée de la jeune génération pour le sens. Car si gagner de l’argent peut participer au bonheur, il n’en est jamais la raison profonde comme l’a démontré Richard Easterlin, économiste américain et théoricien de “l’économie du bien-être”. Lors d’une étude réalisée en 1974 qui a abouti à ce qu’on désigne comme “le paradoxe Easterlin”, il a pu mesurer qu’au delà d’un certain seuil pour combler ses besoins (environ 80.000$ par an), un individu n’est pas plus heureux lorsqu’il devient plus riche, même si cela lui apporte de la satisfaction. Il lui manque toujours quelque chose que seule la recherche de sens vient combler. (Source 7: Thierry Jansen)
Transformer les statuts de sa société en “entreprise à mission” est une décision qui doit être mûrement réfléchie, non pas parce qu’elle est complexe, mais parce qu’elle impliquera une nouvelle dynamique pour l’ensemble des acteurs de l’entreprise. Les dirigeants, les cadres, les employés, les fournisseurs, tous devront faire un effort pour petit à petit s’aligner sur la mission, les valeurs défendues et affichées.
Mais avant de s’aligner encore faut-il avoir un plan de marche. C’est là que rentre en jeu l’accompagnement dans la transformation avec un maître d’oeuvre de ce projet. Il devra avant tout vous aider à:
- Identifier les raisons profondes qui vous poussent à entreprendre cette mutation
- Bien comprendre l’histoire et la culture de votre entreprise
- Faire participer les différents acteurs à la rédaction de la mission et aux engagements que votre entreprise veut prendre
- Définir avec les différents acteurs un plan d’action pour que chaque grand département (Marketing, vente, production, finance, logistique, RH…) participe activement à cette transformation
- Définir les indicateurs clé (KPI) qui viendront supporter les progrès de votre entreprise envers sa mission et justifier le “Triple botton line” (Economique, social, environnemental)
- Coordonner toutes les tâches jusqu’au lancement officiel de la nouvelle raison d’être de votre entreprise
- Epauler vos équipes, une fois le changement de statut acté, dans la mise en place et le déroulement du plan pour aller dans le bon sens
C’est un des services que nous proposons chez ITHIKOS.
Si vous pensez que transformer sa société en “entreprise à mission” n’est que la finalité de grandes entreprises en manque de reconnaissance ou cherchant à se draper derrière une nouvelle raison d’être, je vous invite à lire les déclarations répétées depuis quelques années de Larry FINK, fondateur et PDG de la plus grande société de gestion d’actifs dans le monde, BlackRock (7.800 Milliards de dollars d’actif en gestion en Octobre 2020; soit 2,8 fois le PIB de la France ou 5,2 fois le PIB de l’Espagne). Pour Larry FINK “les profits ne sont en aucun cas en contradiction avec la raison d’être. En fait, ils sont intrinsèquement liés” (Source 8).
Et pour démontrer que le passage en entreprise à mission peut toucher aussi le monde de la PME et de jeunes entrepreneurs, découvrez avec attention Mer Concept, l’entreprise de François GABART, marin exceptionnel et plus jeune vainqueur du Vendée Globe (la course à la voile en solitaire et sans escale considérée comme la plus dure du monde, “l’Everest de la mer”) lors de sa 7eme édition en 2013. Mer Concept est une PME Haute Performance, spécialisée dans la création et la gestion de bateau de compétition pour les courses au large: “De l’écurie de course au large à entreprise à mission”. (Source 9)
4 · En conclusion, parlons business ! quels benefices esperes lorsque l’on devient une entreprise a mission ?
Il est évident que cette transformation ne peut être crédible que si elle entraîne des performances supérieures à la concurrence. Et pour parler bénéfices dans une entreprise à mission… il faudra, comme nous l’avons vu précédemment, multiplier par 3 les critères (Tiple P Bottom Line).
Il y a donc des bénéfices économiques liés au développement naturel de la marque, à sa compétitivité produit, à sa valeur ajoutée technologique par rapport à la concurrence. Cela lui apportera une première source de bénéfice directement sur le compte d’exploitation.
Puis il y a les bénéfices sociaux liés à la capacité qu’aura l’entreprise à fidéliser et à faire grandir ses employés et fournisseurs, à les fédérer autour d’un projet ambitieux, à développer les talents dans un environnement positif et constructif alliant performance et sens, mais aussi à participer à l’intégration et à la diversité.
Enfin il y a les bénéfices environnementaux, source de responsabilité et de respect envers le monde qui nous entoure. Développer son chiffre d’affaire tout en réfléchissant à de nouveaux modes de production et de commercialisation innovants qui permettent de réduire votre impact envers la planète, d’être en cercle vertueux.
Si on fait la synthèse, au delà de la valeur grandissante de votre entreprise et de son efficience générale grâce à à la mise en place de sa mission, le bénéfice le plus important me semble être le sens. Celui de participer au développement d’une entreprise à succès, obtenant des performances économiques, sociales et environnementales bien supérieures à la concurrence tout en étant intrinsèquement plus complète et plus responsable. C’est aussi le sens donné qui permet aux équipes de se livrer corps et âme dans un projet auquel elles croient profondément et qui, au delà du salaire, leur démontre que leur action et leur énergie servent à participer à un monde meilleur…et ça, ça n’a pas de prix!
« On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux ! » (Antoine de SAINT-EXUPERY ; Le Petit Prince)
Merci pour votre attention.
Sincères salutations.
Sources:
- Le Petit Prince; Antoine de Saint-Exupery; Editions Gallimard, 1943
- Etude en Psychologie Positive parue en 2008 et menée par Sonja Lyubormirsky; Deparment of Psychology / University of Riverside, California
- AVEDA, Mission et héritage : https://www.aveda.com/living-aveda/mission-and-heritage; 2021
- Village de la Justice; Pourquoi et comment créer une société à mission; Publication du 17/02/2020
- John Elkington : Cannibals with Forks: the Triple Bottom Line of 21st Century Business ; New Society Publishers
- Kevin Levillain: Les entreprises à mission : un modèle de gouvernance pour l'innovation; Edition Vuibert, 2018
- Le défi positif / Passage « Etre riche »; Thierry Jansen ; Editions Les Liens qui Libèrent, 2011
- Les échos, article du 18/01/2019 de Laurence Boisseau et https://www.lesechos.fr/finance-marches/gestion-actifs/blackrock-veut-accelerer-face-a-lurgence-climatique-et-sociale
- Mer Concept / Ecurie de course au large: https://merconcept.com
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